La ville oĂč a Ă©tĂ© signĂ©e la DĂ©claration d'indĂ©pendance des USA
Dans ce numĂ©ro, on attend notre train en gare deâŠ
Chris Henry (Unsplash)
Quand Bruce Springsteen chante dans les « Streets of Philadelphia »
« On peut faire pause ? Jâai vraiment besoin de savoir dans quel film jâai dĂ©jĂ vu ce visage. » Oui, je suis ce type de personne. In-sup-por-ta-ble (câest ma sĆur qui me le dit souvent). En rĂ©flĂ©chissant Ă un sujet de newsletter sympa et en rapport avec ma grande passion, ça a fait tilt. Je crois que jâai trouvĂ© ma nouvelle obsession, celle de trouver quels films ont Ă©tĂ© tournĂ©s dans les mĂȘmes lieux. Je mâappelle Tara et je vous embarque avec moi Ă la dĂ©couverte des lieux qui font le cinĂ©ma.
đșđž PremiĂšre escale oĂč nous poserons nos valises : la cĂ©lĂšbre ville de Philadelphie, la plus grande de Pennsylvanie aux Ătats-Unis. Son fondateur, William Penn, aurait choisi ce nom car il signifierait « amitiĂ© fraternelle » en grec. Longtemps rivale de la ville de New York sur le plan financier, Philadelphie fut Ă©galement la capitale provisoire du pays et organisa lâexposition universelle de 1876 (les innovations de cette annĂ©e-lĂ : le tĂ©lĂ©phone de Graham Bell, le ketchup Heinz et la root beer !)
Et si Philadelphie est connue dans le monde du cinĂ©ma, câest parce quâelle a accueilli quelques productions cĂ©lĂšbres. Les touristes ne sây trompent pas. AprĂšs la « Liberty Bell », câest la statue utilisĂ©e pour le tournage de Rocky III qui est le monument le plus demandĂ© Ă lâoffice de tourisme. Ă lâAFP, lâancien maire Michael Nutter avait ces mots : la sĂ©rie « a positionnĂ© Philadelphie sur la carte du monde » (voir les effets positifs de Stallone dans cet article de Challenges). Mais aujourdâhui, nous nâallons pas gravir les escaliers du Philadelphia Museum of Art comme le fameux boxeur. Ă la place, je vous propose de dĂ©couvrir un lieu qui fait transiter prĂšs de 12 000 personnes par jour : la gare đ
Adresse : 30th Street Station
La gare de Philadelphie a Ă©tĂ© bĂątie entre 1929 et 1933. De lâextĂ©rieur, on peut admirer de hautes colonnes corinthiennes, dans un style nĂ©oclassique, qui forment dâimmenses portiques. Le grand hall est de mĂȘme facture, avec un sol fait de marbre de Tennessee, un autre symbole de lâopulence de ce bĂątiment. Un endroit Ă lâimage du film Un fauteuil pour deux, oĂč richesse et idĂ©alisme amĂ©ricain ont une place importante. La gare y est ici un lieu de passage oĂč les protagonistes se sourient en pensant Ă leurs retrouvailles futures, dans une vie qui ne ressemblera plus Ă celle quâils vivent actuellement.
Câest dans lâĂ©tendue de la piĂšce que les destins des deux ex-rivaux et de leurs acolytes vont se sceller. AprĂšs avoir dĂ©jouĂ© tout un tas de pĂ©ripĂ©ties Ă bord dâun train, les quatre compĂšres forment un cercle, symbole de leur unitĂ© face aux Ă©vĂšnements qui vont suivre. Au carrefour de leurs histoires, les personnages dâEddie Murphy et Dan Aykroyd se dĂ©tachent des deux autres pour aller au bout de leur plan. Lâannonce du train qui arrive se fait entendre au loin, les deux anciens concurrents se positionnent sur lâescalator et disparaissent peu Ă peu du champ, laissant leurs amis Ă quai. Il fallait se retrouver dans cette gare, au milieu de ce luxe, pour conclure une aventure haute en couleur et rĂ©tablir une certaine justice.
Le train est retardĂ© de trois heures⊠Pour une fois, ce nâest pas une blague en rapport avec la SNCF. Dans le premier film de la pĂ©riode amĂ©ricaine du rĂ©alisateur Peter Weir, Witness, la scĂšne de la gare est lâĂ©lĂ©ment moteur de lâintrigue. Le hall central au style Art dĂ©co se vide, le calme revient doucement. Le petit garçon regarde avec attention la statue de lâAnge de lâAscension, un mĂ©morial de la Seconde Guerre mondiale. Tout petit face Ă lâimmensitĂ© du bĂątiment, cintrĂ© dans son costume noir et son chapeau, il sâimpatiente. Sa mĂšre accepte de le laisser se rendre seul aux toilettes. Il apprĂ©hende, mais le sourire de lâhomme adossĂ© au lavabo le rassure et il finit par se diriger tranquillement vers une cabine.
Ce petit bonhomme, câest Samuel, un amish. Alors quâil fait ses premiers pas dans un monde qui lui est inconnu, il va assister Ă un meurtre. Par lâinterstice de la porte, le personnage campĂ© par Danny Glover tranche net la gorge de sa victime, les bras retenus dans le dos par son complice. Pas dâĂ©chappatoire pour celui qui se dĂ©bat, il mourra dans les toilettes de la gare de Philadelphie. Soudain, un hoquet de peur emplit lâespace. Le moment est intense, le spectateur hurle en silence Ă Samuel de tirer le verrou, ou de fuir et dâalerter sa mĂšre. Danny Glover sâapproche, dĂ©fonce la porte. Dans les toilettes de la gare, lâaction du film est vĂ©ritablement lancĂ©e.
Sâil fallait associer un rĂ©alisateur Ă la ville de Philadelphie, câest bien souvent le nom de Manoj Night Shyamalan qui ressort en premier. NĂ© en Inde, mais ayant passĂ© une partie de son enfance Ă Philly, il a pour habitude de tourner la plupart de ses films lĂ -bas. Dans Incassable, la gare bouillonne. Les gens sây pressent, sans un regard en arriĂšre ou un mot dâexcuse. On se frĂŽle, on se coupe la route pour arriver Ă prendre son train Ă temps. Le temps dâune scĂšne-clĂ©, David Dunn, interprĂ©tĂ© par Bruce Willis, trace calmement son chemin au milieu de la foule, vĂȘtu de son habituel impermĂ©able et de sa casquette vissĂ©e sur le crĂąne. Imperturbable. La femme en rouge le bouscule. Le premier flash arrive comme un Ă©lectrochoc, le souvenir apparaĂźt clairement dans lâesprit du personnage.
Avant Sin City, câest Shyamalan qui utilise le rendu noir et blanc sĂ©lectif dans ses plans, pour focaliser lâĆil sur le mal. Ainsi, le seul Ă©lĂ©ment de couleur dans le flashback est la femme en rouge, en train de commettre son mĂ©fait. Dunn prend conscience de lâun de ses pouvoirs, celui de prĂ©voir ou de visualiser les mauvaises actions des personnes avec qui il a un contact physique. Le couloir terne et lugubre de la gare se ponctue au fur et Ă mesure de taches de couleur. Chaque mini-scĂšne va crescendo : un vol de bijou, une agression Ă caractĂšre raciale, la sĂ©questration dâune famille. Reculer dâun pas, toucher quelquâun par inadvertance et tous les souvenirs affluent, contre la volontĂ© de celui qui ne se voit pas encore comme un hĂ©ros. Un plan rapprochĂ© montre les mains de Bruce Willis, les paumes ouvertes. Comme sâil allait sâenvoler, sâimprĂ©gner de lâenvironnement et embrasser son destin. Dans la gare, on assiste Ă la naissance dâun superhĂ©ros.
Le bonus : les Rocky steps
Je lâĂ©voquais au dĂ©but de ce numĂ©ro, mais Philadelphie reste pour beaucoup associĂ©e Ă Rocky Balboa. Les « Rocky steps », câest le surnom de ces escaliers qui donnent sur la façade sud du Philadelphia Museum of Art. Dans le film Ă©ponyme de 1976, le personnage jouĂ© par Sylvester Stallone gravit les 72 marches au pas de course avant dâarriver au sommet et dâexprimer sa rage de vaincre. Toujours les deux poings levĂ©s. â
đ¶ On se quitte en musique sur ces paroles du Boss :
I walked the avenue, 'til my legs felt like stone
I heard the voices of friends vanished and gone
At night I could hear the blood in my veins
Just as black and whispering as the rain
On the streets of Philadelphia