Le musĂ©e oĂč t'es obligĂ© de retourner
Dans ce numĂ©ro, on met ses meilleures chaussures de rando pour visiterâŠ
Gloria Villa - Unsplash
LâĂ©merveillement Ă lâĂ©tat pur
« On peut faire pause ? Jâai vraiment besoin de savoir dans quel film jâai dĂ©jĂ vu ce visage. » Oui, je suis ce type de personne. In-sup-por-ta-ble (câest ma sĆur qui me le dit souvent). En rĂ©flĂ©chissant Ă un sujet de newsletter sympa et en rapport avec ma grande passion, ça a fait tilt. Je crois que jâai trouvĂ© ma nouvelle obsession, celle de trouver quels films ont Ă©tĂ© tournĂ©s dans les mĂȘmes lieux. Je mâappelle Tara et je vous embarque avec moi Ă la dĂ©couverte des lieux qui font le cinĂ©ma.
đ«đ· TroisiĂšme escale oĂč nous poserons nos valises : le musĂ©e du Louvre Ă Paris. Ancien chĂąteau fort construit par Philippe Auguste en 1190, il est ensuite devenu une rĂ©sidence royale sous Charles V. Lâinauguration du musĂ©e advient en 1793, sous le nom de MusĂ©um central des arts de la RĂ©publique. Au cĆur de la capitale française, le lieu recĂšle dâimmenses trĂ©sors, scrutĂ©s par prĂšs de 10 millions de paires dâyeux en 2018. Le voyage est saisissant, la chronologie sâĂ©tendant de la prĂ©histoire au 21e siĂšcle. Ă noter que le Louvre a inaugurĂ© deux antennes en 2012 et 2017 Ă Lens et Abu Dhabi.
Et si le Louvre est connu dans le monde du cinĂ©ma, câest notamment pour ses chiffres fous : 403 piĂšces, 10 000 marches ou encore 14,5 km de couloirs. Une enceinte mythique et chargĂ©e dâhistoire qui attire prĂšs de 450 tournages par an. Parmi les plus cĂ©lĂšbres, citons les prises de vues dâHenri Desfontaines, AgnĂšs Varda et JR y flĂąnant dans Visages Villages ou le rĂ©cent clip « Apeshit » des Carters. Direction le plus beau musĂ©e du monde đŒïž
Adresse : rue de Rivoli, 75001 Paris
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Anna Karina au milieu. Sami Frey et Claude Brasseur Ă ses cĂŽtĂ©s. Tous les trois rĂ©alisent le sprint de leur vie. Et pour cause, il leur faut battre le record de vitesse dâun certain Jimmy Johnson de San Francisco. Cet AmĂ©ricain (probablement fictif) aurait visitĂ© le Louvre en 9 minutes 45 secondes. Un dĂ©fi qui ne fait pas peur au trio qui slalome parmi les gardiens et les visiteurs de la Grande Galerie en se tenant par la main. Cette scĂšne du film de Jean-Luc Godard (1964) en a inspirĂ© plus dâun, des Innocents de Bertolucci qui en reproduisent la course effrĂ©nĂ©e au rĂ©alisateur Quentin Tarantino et sa sociĂ©tĂ© de production nommĂ©e A Band Apart.
Au-delĂ du challenge, le musĂ©e du Louvre semble ĂȘtre le lieu idĂ©al pour ces trois jeunes gens qui cherchent parfois juste Ă tuer le temps, se rĂȘvant parfois les personnages dâun film. Odile, Franz et Arthur veulent vivre leur vie Ă fond, et nâont pas le temps de sâarrĂȘter devant les chefs-dâĆuvre des grands maĂźtres et les sculptures anciennes. PassĂ© la Victoire de Samothrace, ils augmentent la cadence, glissant sur le parquet cirĂ© et le carrelage Ă la maniĂšre de patineurs artistiques.
ImprovisĂ© par Godard et les acteurs au moment du tournage, ce tourbillon de jeunesse et de fougue ravive lâattention du spectateur. Une vision dâune certaine irrĂ©vĂ©rence qui tĂ©moigne dâune libertĂ© par rapport au temps, aux conventions et mĂȘme Ă la culture en gĂ©nĂ©ral. Câest aussi le cas du reste de Bande Ă part qui se prend Ă changer de rythme, Ă insĂ©rer des voix off ou Ă couper la musique en plein milieu dâun numĂ©ro de danse. Film pourtant mineur de la filmographie de Godard, la poursuite au Louvre a atteint le rang de scĂšne culte.
La nuit tombe. Jacques SauniĂšre (Jean-Pierre Marielle) est pourchassĂ© dans les couloirs sombres du musĂ©e. Le directeur actionne le mĂ©canisme permettant dâabaisser une lourde grille, le sĂ©parant de son agresseur affublĂ© dâune robe de bure. Le montage alterne entre la fuite de lâhomme au souffle court, et les visages figĂ©s de diffĂ©rentes toiles. Cette scĂšne dâouverture donne le ton : le Louvre est rempli de secrets, et ce sont les tableaux qui en sont les gardiens muets.
Cette adaptation du roman de Dan Brown, Da Vinci Code, met en scĂšne les tribulations teintĂ©es dâĂ©sotĂ©risme de Robert Langdon (Tom Hanks). Plus polĂ©mique et moins rythmĂ© que sa suite Anges & DĂ©mons, le film a reçu un accueil plutĂŽt glacial aprĂšs sa prĂ©sentation en ouverture du festival de Cannes en 2006. Pour ce qui est de la production, lâĂ©quipe de tournage a pu filmer de nuit Ă lâintĂ©rieur du Louvre, arpentant les Salles rouges et approchant au plus prĂšs de Mona Lisa. Un plus quand on sait que le passage dans lâĂ©glise Saint-Sulpice a en rĂ©alitĂ© Ă©tĂ© tournĂ© en studio Ă Londres ou encore que le chĂąteau de Villette se trouve ĂȘtre le Burghley House du Lincolnshire.
Quoi de mieux que de rĂ©ellement investir le Louvre pour en restituer lâatmosphĂšre fantastique et fantasmer sur les nombreuses significations des richesses quâil dĂ©tient ? La scĂšne de crime inaugurale Ă©claire le corps de lâhomme, un pentagramme ensanglantĂ© sur la poitrine et une position qui rappelle celle de lâHomme de Vitruve. Les Ă©nigmes sâenchaĂźnent pour le professeur de symbologie et sa comparse, la cryptologue Sophie Neveu (Audrey Tautou). CritiquĂ©, souvent moquĂ©, Da Vinci Code nâen reste pas moins un bon divertissement⊠et donne envie dâinterroger tous les symboles qui nous entourent. Ouvrez lâĆil !
Que ceux qui ont dĂ©jĂ voulu voir lâenvers du dĂ©cor du Louvre lĂšvent la main ! Pour une plongĂ©e au cĆur du musĂ©e, il y a le documentaire de Nicolas Philibert sorti en 1990. On y cĂŽtoie personnel de nuit, agents dâentretien et des gus qui roulent Ă cent Ă lâheure⊠en rollers ! Un mĂ©lange entre « le prosaĂŻque et le sublime, la cocasserie et le rĂȘve », voire « une vĂ©ritable ville dans la ville ».
La ville Louvre donne ainsi Ă voir lâaccrochage des tableaux, la rĂ©flexion autour de leur disposition ou encore le dĂ©placement des Ćuvres entre passage par la fenĂȘtre et virage serrĂ© Ă nĂ©gocier le plus habilement possible. Dans les Ă©tages infĂ©rieurs, le personnel sâaffaire et se prĂȘte Ă une sĂ©ance dâessayage des nouveaux uniformes. « Ă lâorigine, il nâĂ©tait pas question de faire un film. On mâavait simplement proposĂ© de venir archiver, pour le compte du musĂ©e, le dĂ©placement de quelques toiles qui, de par leurs dimensions, promettaient dâĂȘtre spectaculaires ». Finalement, lâexceptionnel sâest imposĂ© au rĂ©alisateur qui a filmĂ© cet affairement autour de lâamĂ©nagement des salles, de la construction de la Pyramide et des galeries souterraines sâĂ©tendant Ă lâinfini.
LâidentitĂ© mĂȘme du Louvre est mise en avant. Le lieu revĂȘt son importance, autant que les personnes qui le font vivre, dans une « relation de travail » quâa voulu retransmettre Nicolas Philibert. MalgrĂ© la dĂ©nomination de documentaire, le long-mĂ©trage « procĂšde dâune approche trĂšs narrative, un peu comme dans la fiction » avec lâalternance de temporalitĂ© et lâabsence de commentaires. La place est laissĂ©e aux protagonistes et Ă leur spontanĂ©itĂ©, entre rĂ©alisme et magnĂ©tisme. Ici, un gardien a oubliĂ© sa chemise, lĂ un robot fait le mĂ©nage. On rĂ©clame une suite !
đ¶ On se quitte sur ces mots du romancier Arthur BernĂšde
â Monsieur le conservateur, annonça-t-il, on vient de dĂ©couvrir ici des traces suspectes. Et il dĂ©signa le socle de la statue de BelphĂ©gor, dieu des Moabites, dont le masque grimaçant, dĂ©concertant, Ă©nigmatique semblait contempler en ricanant les humains qui l'entouraient.
Belphégor, 1927