🥡 Plongée dans une cité bouillonnante #8

Être ébloui par les néons

Dans le décor
5 min ⋅ 29/09/2024

Dans ce numéro, on part explorer…

Photo de Florian Wehde sur Unsplash

Au 118e étage d’un gratte-ciel

« On peut faire pause ? J’ai vraiment besoin de savoir dans quel film j’ai déjà vu ce visage. » Oui, je suis ce type de personne. In-sup-por-ta-ble (c’est ma sœur qui me le dit souvent). En réfléchissant à un sujet de newsletter sympa et en rapport avec ma grande passion, ça a fait tilt. Je crois que j’ai trouvé ma nouvelle obsession, celle de trouver quels films ont été tournés dans les mêmes endroits. Je m’appelle Tara et je vous embarque avec moi à la découverte des lieux qui font le cinéma.

🇭🇰 Huitième escale où nous poserons nos valises : un carrefour économique, stratégique et culturel. Terre de cinéma, la cité de Hong Kong est à différencier du modèle chinois continental par son avant-gardisme, les thèmes abordés ou encore l’exportation de ses films à l’international. De la colonisation britannique à la récente rétrocession à la Chine, elle a construit un cinéma qui parle de son modèle de vie particulier, autant par l’action que par l’intime. S’il fallait retenir certains noms, on pourrait évoquer les mythiques studios Shaw Brothers et Golden Harvest ainsi que tous ceux qui ont participé à la Nouvelle vague des années 1980 : Tsui Hark, John Woo, Wong Kar-Wai, Jackie Chan, Bruce Lee, Michelle Yeoh ou encore Carina Lau.

Et si ce territoire est connu dans le monde du cinéma, c’est pour son agitation perpétuelle et son parfum de liberté (les films étant à l’époque moins soumis à la censure). Malgré de plus petits moyens que le cinéma hollywoodien et un âge d’or révolu, le cinéma hongkongais est prolifique, riche d’inventivité et source d’inspiration pour bon nombre de cinéastes (notamment américains). Le lien vient aussi du fait que certains acteurs ou réalisateurs ont tenté leur chance en Amérique, avec plus ou moins de succès. En France, le cercle des connaisseurs s’élargit de plus en plus, signe d’un intérêt pour ces auteurs qui dépeignent la vie et les aspirations de ces habitants, comme emprisonnés au milieu de ce vertige de gratte-ciel. Direction : la baie de Victoria Harbour où trône la statue de Bruce Lee ainsi que le Hollywood Walk of Fame hongkongais 🌆

Adresse : sur le ferry pour rejoindre Central

Michael Mann, réalisateur de Heat et Miami Vice, se penche ici sur le monde virtuel et ses criminels cachés derrière leur écran. Tout commence par un point de couleur, une lumière qui s’allume dans un circuit informatique. Alors que l’onde se propage, le mécanisme de refroidissement d’un réacteur de la centrale nucléaire de Hong Kong est attaqué. Le hacker entre dans le système, plus moyen de stopper le piratage et voilà le spectateur devant une séquence d’ouverture immersive (au design parfois un peu daté) qui figure un entrelacs de câbles et de composants électroniques vu à l’échelle microscopique. Le virus se propage. Le réacteur explose. Le gouvernement chinois dépêche un expert qui devra collaborer avec le FBI, les États-Unis ayant subi un assaut. Celui-ci s’associera aussi avec son ami Hathaway (Chris Hemsworth), un pirate derrière les barreaux, dont le code possède la “signature”.

Le film déroule ensuite un scénario assez classique du thriller géopolitique avec une équipe constituée dans la foulée, brinquebalée entre le continent américain et asiatique. Passage presque obligé pour figurer l’immensité de l’espace et du terrain de jeu du hacker, la skyline hongkongaise se dévoile aux yeux des personnages prenant un verre dans un bar niché en haut d’un immeuble. Le réalisateur s’en tient là pour les plans “carte postale”, cadrant à un moment le Convention Center et son toit en forme d’oiseau au bord du Victoria Harbour. Les protagonistes passent également en trombe dans ce qui ressemble au Flower market. Un plan aérien montre l’étendue de la rue où sont postés ces petits stands qui vendent des souvenirs aux touristes.

Hong Kong grouille, vit à toute allure et en met plein la vue avec ces néons. Pourtant, aucune chaleur ne se dégage de l’ensemble. Michael Mann ne semble pas vouloir explorer plus avant l’intensité de la ville, effleurant le tout sans jamais vraiment s’y arrêter. Tout semble un peu désincarné, comme la scène au restaurant où seul le duo principal apparaît dans le cadre. On se rend compte que le lieu est fréquenté seulement lorsque la caméra se met en mouvement pour filmer un combat et desserre son champ de vision. Le film, alignant les lignes de codes et le vocabulaire technique, oublie parfois de s’attarder sur ces personnages comme s’il n’arrivait ni à saisir le flux continuel de la ville, ni celui des émotions. Reste de très bonnes scènes d’infiltration — quand la sœur du héros entre dans le système par le moyen d’une clé USB activée dans une banque — et de fusillade (toujours le point fort de Mann, plus que les scènes de combat).

Les tribulations vont de Hong Kong à l’Inde et l’Himalaya avant de retourner au point de départ. Librement inspiré du roman de Jules Verne, ce film d’aventures suit Arthur Lempereur (Jean-Paul Belmondo), un milliardaire d’une trentaine d’années qui s’ennuie et veut en finir avec la vie. Il embarque sur son yacht avec sa fiancée, sa future belle-mère et son compagnon, son valet et un vieil ami pour faire le tour du monde. Amarré dans le port hongkongais, il apprend qu’il est ruiné. Il contracte une assurance-vie sur les conseils de son ami M. Goh, d’une durée d’un mois. Il est dès lors poursuivi et échappe à plusieurs tentatives de meurtre, ce qui lui fait oublier sa déprime.

Le film met en scène des duos comiques dans tous les sens, le meilleur étant celui formé par Arthur et son valet Léon (Belmondo et Rochefort). Les situations rocambolesques et le comique de situation rappellent l’univers de Tintin (les gardes du corps qui font penser à Dupond et Dupont ou l’épisode des cercueils flottants)… si ce n’est la présence de femmes, dont Ursula Andress, qui rejoue pour l’occasion une de ses célèbres scènes dans la peau d’une James Bond girl.

Aventure et danger sont à tous les coins de rue et permettent ainsi une déambulation plaisante dans les ruelles, au milieu des temples de quartier et des bars. On y sent l’agitation. Le port est très présent à l’écran, avec ses bateaux de toute taille, agrémentés de voiles colorées et chargés de cargaison. Sorti en 1965, le film montre une ville en construction, avec souvent une grue en arrière-plan, des ensembles blancs uniformes mais un décor ouvragé qui s’anime et se pare de couleurs dès que les personnages s’enfoncent dans ses entrailles. D’une énergie et d’un humour communicatifs, le récit emporte le spectateur par sa fantaisie et ses gags. “Il n’y avait pas une journée sans explosion, sans maison qui s’écroule, sans bateau qui coule”, se souvient le réalisateur Philippe de Broca. Ça promet des étincelles.

“Des 8 Enfers, le plus terrible est l’enfer perpétuel. Dans cet état, la souffrance ne connaît pas de fin.” L’Avici, dans le bouddhisme, est le lieu où l’on endure des souffrances permanentes. C’est sur cette citation que s’ouvre le premier volet de la trilogie Infernal Affairs, suivi d’un plan sur l’une des statues du monastère des dix mille Bouddhas, un lieu de calme et de prière avant de plonger dans la vie citadine et la guerre que se livre les trafiquants et la police. Le scénario de ce polar s’articule entre deux hommes, chacun ayant infiltré le camp adverse. Quand chaque partie se met à traquer sa taupe, le spectateur comprend que les aspirations de l’un et de l’autre ne sont pas si différentes. Le titre renvoie aux “affaires internes” et à l’engrenage infernal qui découle de la situation.

Mettant de côté le simple polar binaire, le film s’appuie sur une narration incroyable et une mise en scène stylisée — effet de noir et blanc, ralentis et action répétée en trois temps — comme sait le faire le cinéma hongkongais. Par là, il renoue avec un âge d’or passé (mais qui offre encore de très belles réussites à l’image du récent City of Darkness et sa représentation de la citadelle de Kowloon). Avec le spectre de la récente rétrocession qui plane et une perte de vitesse et de créativité, la production diminue et les cinéastes partent à la conquête des États-Unis (mais sont vite empêchés dans leur projet par le système hollywoodien). Mais ici, on tient un chef-d'œuvre, qui inspirera par ailleurs Les Infiltrés de Martin Scorsese — l’action se déroule à Boston et met en scène la pègre irlandaise (mon avis : c’est beaucoup moins bien !).

Pour appréhender cette période de transition et cristalliser les tensions internes de la population locale, le film opte pour mettre à distance la ville. Hong Kong devient ainsi un enchaînement de bureaux et de parkings. Les lieux sont souvent fermés, comme l’appartement du policier ou le cabinet de la psychologue que consulte le personnage interprété par Tony Leung. Loin du brouhaha, le moindre son revêt de l’importance et laisse souvent place à la mélancolie, comme lorsque les deux héros sont dans un magasin et se mettent ensemble à écouter de la musique. Alors que chacun questionne son identité et ses valeurs et se jauge en silence, tant les spectateurs que les protagonistes observent la vie en contrebas, juchés au sommet d’un immeuble. Cela donne cette scène mythique (l’image ci-dessus), où la ville s’imagine dans le reflet des vitres alentour.

Les bonus

Pour la watchlist, j’ai choisi trois visions, trois époques, trois nationalités pour parler de Hong Kong. J’aurai pu m’attarder seulement sur le cinéma local, qui regorge de pépites en tout genre et a infusé le cinéma mondial. Un sujet vraiment passionnant. En attendant, je vous laisse avec une liste non-exhaustive de films qu’il faut voir.

Et pour finir, la fangirl en moi vous partage les photos prises lors de mes vacances là-bas. Je devais aller au temple des mille bouddhas (et ça m’attriste encore), mais j’ai loupé ça à cause d’une sombre histoire d’avion et de décalage horaire (une anecdote ridicule, mais digne d’une comédie).


Dans le décor

Par Tara -

Je m'appelle Tara et du haut de mes 25 ans, je vous embarque avec moi au pays des films et séries. Journaliste, j'essaie de décortiquer des scènes emblématiques pour vous donner envie de voyager et découvrir grands classiques et films de genre.